A propos du disque
JASS, soit John, Alban, Samuel, Sébastien. Soit aussi jass, ce jeu de cartes ancestral, également appelé chibre, toujours très populaire en Suisse et dans le Vorarlberg autrichien, qui se joue généralement à quatre. Soit encore jass, ce terme apparu pour le tout premier enregistrement d’un disque de jazz, en mars 1917, par l’Original Dixieland Jass Band mené par Nick La Rocca*… On peut voir là un rapprochement sémantique anodin ou une coïncidence étymologique amusante. On peut aussi présumer quelque intuition perforante si l’on tient compte que c’est avant tout des jonctions fortuites et des situations non préméditées – l’admiration d’Alban Darche pour le Claudia Quintet de John Hollenbeck et sa rencontre avec le batteur, la confirmation d’une vraie complicité entre Samuel Blaser et Sébastien Boisseau, le goût du jeu et des confrontations partagé par les quatre protagonistes – qui ont mis au jour l’intense jubilation esthétique générée par cette musique à la fois résolument moderne et intimement ancrée dans l’histoire du jazz. Une musique éminemment collective dont la construction savante mais toujours fluide laisse percer le sens – sous l’aiguillon des idées et des sensations tirées de l’écoute de l’autre – autant dans les silences et les à-côtés que dans le cheminement narratif.
Une première expérience à Berlin en juillet 2011 puis une résidence à Nantes en janvier 2012 (dont est issu le présent enregistrement) auront donc suffi à quatre musiciens exigeants pour mettre en œuvre, en parfaite décontraction, l’ordre remarquable de cette traversée de thèmes originaux laissant le jeu d’ensemble au cœur de la trajectoire, maîtrisant et dépassant un besoin d'organisation et d’équilibre pour initier à des formes de perturbation, d’effervescence, d’ivresse, de jouissance, sans s’égarer jamais ni dans la profusion, ni dans l’effusion.
Aussi compacte, construite et réfléchie qu’elle apparaisse, cette musique ne formule cependant pas une détermination unique ; elle invite à une écoute créatrice à partir des alternatives multiples que suggèrent sa trame et son réseau de correspondances improvisées, lorsqu’il s’avère qu’à tout instant tout est possible. En ce sens l’attention très précise portée à la forme de chaque pièce, et parallèlement le souci constant de la structure lisible, constituent un terreau fécond pour que, dans un même élan, les voix mélodiques, comme autant de micro-récits, s’enchevêtrent pour se concentrer sur une palette consistante au chromatisme brûlant.
Bernard Aimé
* « En général, il y a association de jass (ou jazz) à la danse, la vitalité, l’acte sexuel », nous rappelle le Dictionnaire du jazz. Quant à chibre, il s’agit d’un mot d’argot ancien, mais encore employé au 20e siècle (par Jean Genet notamment), qui désigne le sexe masculin. Il n’y a là, cependant, aucune raison de se perdre en conjectures concernant la potentielle érotisation de la musique de JASS…